Lucien (Lu) Tétrault, Héros de guerre (Par Pierrette Brière)

Naissance et famille


Lucien Anatole Tétrault est le fils d’Anatole Tétrault et de Florida Colette. Il voit le jour le 25 mars 1920 à Waterbury (Connecticut), aux États-Unis, et est baptisé le 28 à l’église St. Ann de cette localité.

Comme plusieurs autres familles québécoises, ses parents avaient émigré en Nouvelle-Angleterre. D’abord installés sur une ferme du Vermont, ils étaient ensuite déménagés à Waterbury, où ils s’étaient établis. Lucien grandit dans cette petite ville du Connecticut avec sa soeur aînée Lucille et sa soeur cadette Ida; cette dernière deviendra l’historienne de la famille. Sa mère a donné naissance à trois autres enfants, malheureusement décédés en bas âge.

Lucien fréquente une école francophone catholique et termine sa 10e année scolaire à la Leavenworth High School de Waterbury. Il met fin à ses études au cours de l’année suivante afin de travailler et contribuer financièrement aux besoins de sa famille. Il s’engage volontairement dans le Civilian Conservation Corps (CCC), un programme visant à aider les familles en difficulté pendant la Grande Dépression tout en protégeant les ressources naturelles. Aux hommes de 18 à 25 ans, célibataires et sans emploi, on fournit un travail, le gîte, les vêtements, la nourriture et un salaire de 30 $ par mois, dont 25 $ sont envoyés à la famille. Lucien effectue différents travaux publics au Colorado. Pendant ses jours de congé, il visite la région montagneuse et prend de nombreuses photos des canyons; cette expérience a sans doute contribué à éveiller sa passion pour les grands espaces et le plein air.

Vers 1938, il quitte le CCC et retourne dans sa ville natale au Connecticut, où il trouve du travail dans une usine d’horloges. Il occupe par la suite différents emplois comme machiniste.

Mariage

Lors de vacances avec des amis sur un lac au nord de l’État de New York, il rencontre Esther Morello. La jeune femme d’origine italienne a grandi dans un quartier italien de Brooklyn (New York); son père y exerçait le métier de tailleur et Mama Morello prenait soin de sa famille, toujours dans la langue de son pays natal. Les parents et leurs cinq enfants avaient quitté la Calabre pour immigrer en Amérique et Esther est la seule de la famille à être née hors d’Italie.

Une attirance réciproque marque le début de leurs fréquentations. À 22 ans, Lucien épouse la jeune Esther, âgée de 20 ans. Le mariage est célébré le 3 mai 1942 à Brooklyn, près de la maison familiale de la famille Morello.

En novembre 1942, Lucien quitte l’emploi qu’il occupe depuis trois ans à la Waterbury Manufacturing Company.

La vie militaire

Enrôlé volontairement dans l’armée américaine le 8 décembre 1942, Lucien Tétrault est engagé dans le 501st Parachute Infantry Regiment (PIR), 101st Airborne Division. Il entame son entraînement à Camp Toccoa (Géorgie). Cette difficile période étant complétée sur différentes bases américaines, il part pour l’Angleterre en janvier 1944.

Jour J

La veille du Jour J, le 5 juin 1944 à 22 h 30, les parachutistes de la compagnie G du 3rd Battalion s'installent dans les avions désignés pour la Mission Albany; on doit larguer les hommes en Normandie cinq heures avant le débarquement. À 23 h, à la station 474 de Welford (Royaume-Uni), les pilotes démarrent les moteurs; les décollages commencent à 23 h 35 et, 97 minutes après, l’escadron passe la côte française. Selon Lucien, l’objectif de sa compagnie était Vierville-sur-Mer, au nord-est d’Omaha Beach.

À 1 500 pieds, on observe soudainement une importante formation nuageuse; le silence radio absolu devant être rigoureusement respecté, cette information n’a pu être transmise par les groupes précédents. La densité des nuages jointe au tir soutenu de l’ennemi rendent la visibilité presque nulle; le vol en formation dans un tel contexte s’avère difficile et dangereux.

Les appareils survolent la région de Picauville (Normandie), à quelques minutes de leur zone de saut, quand l’artillerie antiaérienne allemande ouvre le feu. Le C-47 avec Lucien à bord est touché au nez puis à la queue. Le poste de pilotage explose, tuant les cinq membres de l'équipage. Les 17 parachutistes accrochés à la static line, prêts à sauter, sont projetés par terre. Certains sont tués, d’autres blessés. L’avion pique du nez, la fumée et les flammes envahissent l’espace. Le sergent Charles Word suit les ordres et hurle « Let’s go », puis il saute le premier. Lucien Tétrault saute le deuxième. Malgré ses blessures, Arthur Morin remonte péniblement vers la sortie après avoir enjambé les corps de 12 camarades; il saisit le bord de la porte, tire lui-même sur l’ouverture du parachute et plonge à son tour.

Durant sa descente en parachute, Lucien voit l’avion s'écraser; il atterrit dans les arbres quelques minutes plus tard. Le 6 juin à 1 h 20, à environ 500 mètres au sud de Picauville, dans le petit hameau de Clainville, le feu consume l’appareil et ses occupants. La maison de la famille Simone, située à quelques mètres de l’écrasement, est épargnée par miracle.

Les trois seuls survivants se rejoignent au sol. Ils entrent en contact avec deux familles françaises, les Truffaut et les Lebruman; la capacité de Lucien à parler la langue facilite considérablement les communications. Charles Word part vers l’est, alors que Tétrault et Morin sont conduits dans la grange en pierre au toit orange de la famille Lebruman, qui leur offre généreusement de la nourriture.

Pendant la journée, Charles Lebruman se rend sur les lieux de l’écrasement où gisent 16 corps calcinés presque impossibles à identifier; il recueille neuf plaques d'identité et les remet à un Lucien Tétrault grandement bouleversé.

Après quelques jours cachés dans la grange et sachant que leur présence à la ferme met en péril la vie des Lebruman, les deux hommes partent vers les plages. Ils réussissent à se dégager d’une rencontre avec l’ennemi au cours de laquelle Lucien est atteint à une main d’un projectile d’arme à feu. Ils regagnent finalement les lignes américaines, sains et saufs, grâce à l’aide d’un jeune garçon qui les a aperçus dans les bois. Lucien est traité sur le champ de bataille, puis hospitalisé en Angleterre.

Bataille du Saillant

Malgré cette dramatique aventure, la guerre n’est pas terminée pour Lucien. À la mi-juillet, le 501e régiment retourne à sa base en Angleterre pour se ressourcer et reprendre l’entraînement. Au début de l’automne 1944, on prépare un assaut aux Pays-Bas, occupés par l’ennemi. Les hommes de la 101e division sont conduits à Bastogne (Belgique) où ils arrivent le 19 décembre 1944, à 22 h 30, après un voyage épuisant. Dès minuit, ils doivent entreprendre le combat. Malgré le danger évident, Lucien et quelques compagnons d’arme obéissent à l’ordre d’aller voir ce qui se passe sur le terrain; les balles de l’ennemi sont inévitables et Lucien est touché à un coude. Dans l’ambulance qui l’évacue hors de la zone de combat, il entend le tir de l’artillerie allemande qui tente d’arrêter le véhicule. Il arrive finalement en France le 31 décembre pour recevoir les traitements médicaux appropriés.

Après presque deux mois de bataille, les Allemands sont refoulés et Bastogne est libérée. Pour cette victoire, les combattants reçoivent la première Presidential Unit Citation jamais accordée à une division entière; cette décoration est décernée pour héroïsme extraordinaire lors de combats contre un ennemi armé. Dans des conditions extrêmement difficiles, ils ont rempli leur mission avec courage; plusieurs d'entre eux y ont même perdu la vie. Pour témoigner leur reconnaissance, les Belges ont érigé un énorme monument à Bastogne sur la colline du Mardasson. Au coeur de ce mémorial, on peut lire une phrase en latin exprimant que le peuple belge se souvient de ses libérateurs américains. Le 16 juillet 1950, le président de la cérémonie d’inauguration ajoute : « Puisse cette inscription dans la pierre l'être également dans les mémoires ». Lucien Tétrault fait partie des libérateurs qu’on ne veut pas oublier. Lucien Tétrault compte parmi les héros.

Lucien quitte le Lowell General Hospital (Massachusetts) le 31 mars 1945; il est démobilisé avec mention honorable à Fort Devens (Massachusetts) le 14 mai 1945, ce qui met fin à sa carrière militaire.

Retour à la vie civile

De retour à la vie civile, Lucien rentre à Brooklyn (New York) auprès de son épouse Esther et de la famille Morello. Il trouve du travail comme machiniste. La vie reprend son cours et deux fils viennent bientôt compléter sa petite famille.

Lucien Tétrault a un véritable esprit d’entrepreneur. Avec son beau-frère, Max Weiss, il démarre une usine de fabrication dans le domaine de la bijouterie nommée Lu-Max Manufactruring Company, au sein de laquelle il exerce son métier de machiniste. Après l’usine de New York, ils construisent un atelier à Springfield (New Jersey) et approvisionnent plusieurs entreprises des régions de New-York et de la Nouvelle-Angleterre.

En 1950, Lucien quitte Brooklyn et déménage à Springfield, où il fait construire une petite maison de style ranch. Esther y maintient des liens étroits avec sa soeur Connie, tandis que Lucien partage divers intérêts avec son beau-frère Joe Morello. Les familles se fréquentent très régulièrement; on accumule de précieux souvenirs des joyeuses expéditions de camping et des mémorables aventures de pêche à bord d’embarcations aménagées par les compagnons bricoleurs.

Après cinq à sept ans de partenariat avec son beau-frère, Lucien décide de vendre ses intérêts pour saisir de nouvelles occasions. Cherchant un moyen de bien faire vivre sa jeune famille dans un domaine différent de ses réalisations antérieures, il investit dans un service de livraison de journaux à Asbury Park (New Jersey). En 1957, il achète une maison de style ranch à Neptune (New Jersey), où la famille déménage.

Lucien ne s’intéresse pas particulièrement à sa nouvelle entreprise, mais les revenus qu’elle génère lui conviennent. Il met ses compétences au service de cette compagnie, qui connaît bientôt une croissance importante et développe une excellente réputation pour son service fiable et efficace. Toujours à la recherche de nouvelles expériences et de moyens pour générer des revenus additionnels, il achète une presse usagée, commence à imprimer ses propres factures et à vendre des factures vierges à d’autres entreprises. Il réussit ainsi à financer les coûts des études pour ses fils, qui fréquentent le Rutgers University et le Georgetown University.

Veuvage et remariage

C’est à cette époque que, à la suite d’un malaise au volant de son véhicule, Esther reçoit un diagnostic de tumeur cancéreuse au cerveau. Elle est transférée dans un hôpital de New York pour y subir une chirurgie et des traitements qui la laissent à demi paralysée; elle est confinée à l’hôpital pendant plusieurs mois. Malgré son travail, Lucien couvre la distance plusieurs fois par semaine pour visiter son épouse; cette épreuve est fort difficile pour lui est ses fils, âgés de 11 et 13 ans. De retour à la maison pour une période de convalescence, Esther décède le 7 janvier 1962, à l’âge de 39 ans.

En 1964, Lucien épouse Jacqueline, originaire de France et mère de deux enfants. Le nouveau couple aménage dans une maison plus spacieuse répondant aux besoins de la nouvelle famille. Après huit ans de vie commune, le couple se sépare en 1972.

Retraite

En 1980, Lucien vend le service de livraison de journaux qu’il a dirigé durant 23 ans et prend sa retraite. À bord d’un véhicule récréatif, il voyage pendant un an à travers les États-Unis en compagnie de son fidèle chien Princess. Au cours des 20 années qui suivent cette tournée, il vit en alternance entre sa résidence de la Floride l’hiver et des séjours chez les membres de sa famille au nord l’été. Il choisit toujours des terrains de camping près d’un lac où il peut mettre à l’eau un petit bateau et pêcher quelques poissons pour son repas.

Surnommé affectueusement Lu, il est adepte de plein air, de pêche et de camping; ses aménagements paysagers exceptionnels suscitent l’envie de ses voisins. Il est reconnu pour sa mémoire phénoménale, sa capacité à raconter ses multiples expériences, son intérêt à partager ses souvenirs, son habileté à discuter de sujets d’actualité de même que pour ses talents aux échecs, aux quilles et au fer.

En 2003, des problèmes de santé l’incitent à quitter la Floride pour s’établir en permanence au Connecticut. On y tient plusieurs rencontres de familles, particulièrement à la fête des Pères. Lucien est comblé par la présence de ses enfants, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants. En 2010, une fête surprise est organisée pour souligner son 90e anniversaire; à cette occasion, sa petite-fille Jessica présente une rétrospective de la vie de Lucien, un moment joyeux et touchant pour tous les participants.

Décès et descendance

Après un long combat contre la maladie, incluant des problèmes cardiaques, vasculaires et rénaux, Lucien Tétrault décède paisiblement le 8 août 2011, à l’âge de 91 ans, entouré de sa famille et après une vie fort bien remplie. L’année suivante, la famille se rassemble à Lake George (New York), cet endroit qui lui était si cher; ses cendres sont dispersées au cours d’une cérémonie commémorative.

Il laisse dans le deuil deux fils, Stanley Lucien de Tolland (Connecticut) et John Roland de Baltimore (Maryland), ses belles-filles Elizabeth et Patricia ainsi que quatre petits-enfants (Jessica, Joshua, Phillip et Andre) et trois arrière-petits-enfants (Cole, Madeleine et Lucien). Sa soeur Lucille, d’Ocklawaha (Floride), sa nièce Bobby, son neveu Allan et son épouse Melinda de même que plusieurs parents et amis ont perdu un être cher qui a marqué leur vie et dont ils souhaitent garder un vivant souvenir.

Des recherches additionnelles devraient être effectuées par Allan, le fils d’Ida Tétrault, pour compléter et partager l’histoire de la famille de Lucien Tétrault.

Sources :

Les fleurs de la mémoire

Merci à Fabrice Martin, qui nous a permis d’utiliser ses photos.

Notes biographiques soumises par Stanley Tetrault


Texte extrait du bulletin Les Tétreau disent... Vol 17, No 1 (avril 2015)