Nos ancêtres Patriotes (par Geneviève Tétrault)

Le tournant du 19e siècle est une période mouvementée un peu partout dans le monde. On n’a qu’à penser aux révolutions américaine et française, qui contribueront à la propagation des idées libérales partout en Occident, et au mouvement de décolonisation des colonies espagnoles et portugaises d’Amérique du Sud. Le Bas-Canada ne fait pas exception à la règle : inspiré par son voisin du sud, il s’engagera lui aussi sur la voie révolutionnaire. Lutte de classes ou lutte raciale? Quelle est la part des descendants patronymiques de Louis Tetreau dans ces évènements? C’est ce que nous verrons.

L'acte constitutionnel de 1791

Les Canadiens font l’expérience du parlementarisme à la suite de la première élection, qui eut lieu en 1792. À peine élus, les députés du Bas-Canada, majoritairement des Canadiens français, se disputent déjà avec leurs collègues britanniques sur de nombreux sujets, comme la langue des débats et la gestion des finances.

Alors qu’au début les députés sont indépendants, ils finiront par se regrouper au sein de deux partis, le British Party et le Parti canadien (qui deviendra le Parti patriote en 1826), des noms qui ne laissent planer aucun mystère sur leur composition! Les membres du British Party sont surtout issus de la bourgeoisie d’affaire et généralement sur la même longueur d’onde que leurs compatriotes des Conseils législatif et exécutif. Quant à eux, les membres du Parti canadien sont plutôt issus de la bourgeoisie libérale qui forme l’élite dans les seigneuries des vallées du Saint-Laurent et du Richelieu.

Conflit à la Chambre d'assemblée

Très tôt apparaîtront les limites de cette démocratie de façade. En effet, les députés qui représentent le peuple à la Chambre d’assemblée n’ont pas de réel pouvoir sur la gestion de la colonie. Cette dernière est en effet toujours contrôlée par Londres, par l’intermédiaire du gouver-neur et de ses conseillers. Avant d’être appliqué, un projet de loi doit être adopté par une majorité de députés de la Chambre, une majorité de conseillers législatifs (l’équivalent du sénat actuel), puis sanctionné par le gouverneur. Ce qui pose problème à l’époque, c’est que le gouverneur et les conseillers sont nommés et gouvernent dans l’intérêt de la métropole, l’Angleterre. Ces derniers ont donc toujours le dernier mot, modifiant ou refusant d’adopter les projets venant de la Chambre d’assemblée. Dans le cas contraire, le roi peut désavouer les lois adoptées dans ses colonies. Pour illustrer le conflit qui oppose les élus et les nommés dans le parlement du Bas-Canada, on sait que, de 1822 à 1836, le Conseil législatif a rejeté 234 projets de loi proposés par la Chambre d’assemblée, soit presque la moitié des projets présentés.

Cette situation est inacceptable pour les députés patriotes épris de justice, de liberté, de démocratie et en quête de pouvoir. Ce qui partout ailleurs est perçu comme un conflit de classes sociales, la bourgeoisie s’attaquant au pouvoir de la noblesse et de la monarchie, se double ici d’un conflit de « races », comme on disait à l’époque, puisque les élus qui s’opposent aux représentants de Londres sont essentiellement canadiens-français et les autres, essentiellement britanniques.

Les 92 résolutions

En 1834, les députés du Parti patriote rédigent et expédient au parlement de Londres un document resté célèbre s’intitulant Les 92 résolutions. Après avoir rappelé leur loyauté à l’Angleterre lors de la Révolution américaine et la Guerre anglo-américaine de 1812, les représentants des Canadiens français exigent des changements majeurs au fonctionnement politique et judiciaire du Bas-Canada. Ils veulent, entre autres :

  • le gouvernement responsable1;
  • un Conseil législatif élu;
  • le contrôle de l’argent public par la Chambre d’assemblée;
  • la reconnaissance du fait français au Bas-Canada et des droits correspondants.

Ils dénoncent des abus de pouvoir des autorités britanniques, dont le gouverneur Aylmer lui-même, la corruption, le double traitement appliqué aux Canadiens français, la façon partiale dont la justice est appliquée, etc. Le document est adopté par la Chambre d’assemblée le 21 février 1834 à 53 voix contre 20. Il est soumis aux électeurs lors des élections d’octobre-novembre 1834 et reçoit un appui massif de la part des Canadiens français, qui élisent 78 députés patriotes sur une possibilité de 80 députés. À titre de « 93e résolution », la Chambre décide de ne pas voter le budget du Bas-Canada tant que Londres n’aura pas répondu à ses demandes, ce que la métropole mettra trois ans à faire.

Pendant ce temps, dans les seigneuries…

Depuis la Conquête britannique, les gouverneurs ont eu pour instruction de développer des cantons, la manière anglaise de distribuer et d’administrer les terres. Il n’était donc plus question de concéder de nouvelles seigneuries. Malgré tout, ce système perdurera jusqu’en 1854 et la majorité des Canadiens français y vivent, encouragés par leur Église à avoir le plus d’enfants possible. La population augmente donc, mais la superficie cultivable stagne. En raison de plusieurs années de météo défavorable à l’agriculture, la famine rôde dans les seigneuries entre 1833 et 1836. Cette famine s’accompagne d’une grave crise économique qui touche également les États-Unis.

Alors que la vie est si dure pour les Canadiens français, elle l’est encore plus pour les Irlandais qui débarquent par dizaines de milliers au port de Québec, amenant avec eux le choléra. Ces pauvres bougres déclencheront deux épidémies (1832 et 1834) qui feront plus de 10 000 morts, surtout parmi les Canadiens français, qui auront tôt fait d’accuser le gouvernement britannique d’avoir volontairement provoqué ces épidémies pour se débarrasser d’eux. L’impopularité des autorités britanniques est à son apogée.

Les deux solitudes

Alors que les Canadiens français tentent par tous les moyens d’être reconnus comme une nation et que leur supériorité numérique au Bas-Canada se reflète dans les institutions politiques (Conseils législatif et exécutif), les Britanniques les considèrent comme des vaincus qui doivent admettre qu’ils ne sont qu’une petite portion de la grande nation britannique. Les quelques efforts des gouverneurs Aylmer et Gosford pour nommer des Canadiens français aux conseils diviseront les Britanniques, dont certains décideront de former un groupe armé pour se protéger (Doric Club), tout autant que les Canadiens français, qui jugeront comme vendus ceux qui accepteront ces nominations.

Nous sommes donc en présence de deux classes sociales, la petite bourgeoisie canadienne-française et le peuple qui, pour des raisons différentes, souffrent de la domination britannique. Sans aspirer à l’indépendance totale, du moins au départ, ils aspirent à une autonomie intérieure susceptible d’améliorer les conditions de vie de tous. C’est lors des assemblées populaires comme celles de Saint-Ours et de Saint-Laurent que leurs forces seront mises en commun. Le peuple du Bas-Canada sera informé du contenu des 10 Résolutions Russell, une réponse aux 92 résolutions jugées comme une provocation. En effet, en plus de rejeter toutes les demandes de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, Russell donne davantage de pouvoir au gouverneur, qui peut désormais puiser dans le Trésor public toutes les sommes voulues, sans l’approbation de la Chambre. C’est dans ce contexte que le gouverneur Gosford dissoudra la Chambre en août 1837.

Malgré l’interdiction de tenir des assemblées populaires faite par Gosford et secondée par Mgr Lartigue, les patriotes réuniront 5 000 personnes à Saint-Charles pour l’Assemblée des Six Comtés. Durant ces assemblées, on votera des résolutions encourageant le boycott des produits britanniques. Certains y prôneront la violence.

Bien que l’on parle toujours de la Rébellion des Patriotes, ce sont les autorités britanniques qui déclenchent les combats. Après que le Doric Club eut attaqué l’organisation patriote des Fils de la Liberté sur l’actuelle place d’Armes à Montréal, Gosford proclame la loi martiale, émet un mandat d’arrêt contre 26 chefs patriotes et donne pour mission à John Colborne de réunir des renforts du Haut-Canada et des Maritimes pour marcher sur les châteaux forts patriotes. L’armée britannique se dirige alors vers la vallée du Richelieu. Où sont les descendants de Louis Tetreau durant ces événements?

Les Patriotes de 1837

  • Présent à l’assemblée de Saint-Ours le 7 mai : Pierre Tétreau (il appuie une des résolutions)
  • Présent au camp de Saint-Denis : Jean-Baptiste Tétrault dit Ducharme
  • Présents au camp de Saint-Charles : Jean-Baptiste Tétreau et Benjamin Tétreaut dit Ducharme (armé et très actif, il participe à la bataille du 25 novembre)
  • Présent au camp de Saint-Mathias : Jean-Baptiste Tétreau (à la tête d’une centaine d’hommes)
  • Présents parmi les patriotes de Saint-Césaire en novembre 1837, ils se préparent à une attaque-surprise contre les troupes britanniques qui reviennent de Saint-Charles vers Chambly : Léon Tétreau dit Ducharme, Dominique Tétreau, Timothée Tétreau, François Tétro fils, Joseph Tétro fils et Toussaint Tétro père
  • Faits prisonniers en 1837 : Saint-Luc Tétreau (le 22 novembre alors qu’il s’enfuit vers les États-Unis à la tête d’une trentaine d’hommes) et Jean-Baptiste Tétreau
  • Remis de leur commission de capitaine ou d’officier de milice : Hyacinthe Tétro (2e bataillon de Rouville), Jean-Marie Tétro (1er bataillon de Rouville) et Jean-Marie Tétro (1er bataillon de Chambly).

L’année 1837 se termine sur une seule victoire des patriotes, à Saint-Denis. Environ 500 patriotes sont arrêtés et emprisonnés. Huit des principaux prisonniers sont exilés aux Bermudes, et l’exil est réservé à d’autres fugitifs importants comme Louis-Joseph Papineau et tous les membres de l’ancienne Chambre d’assemblée. L’amnistie générale est finalement décrétée par Lord Durham, nouveau gouverneur venu enquêter sur les événements. Les Canadiens français sont ravis, mais les Britanniques, beaucoup moins. L’amnistie sera finalement désavouée par Londres.

C’est à partir des États-Unis, où de nombreux patriotes sont réfugiés, que le soulèvement de 1838 s’organise. Ceux-ci sont dégoutés par la façon dont Colborne a réprimé les actes des patriotes de 1837. Ils fondent la société secrète des Frères chasseurs et écrivent la déclaration d’indépendance du Bas-Canada. Dans la nuit du 3 au 4 novembre 1838, ils traversent la frontière américaine pour rejoindre leurs membres du Bas-Canada à Napierville. Bien qu’ils aient été mieux organisés que ceux de 1837, les Frères chasseurs sont tenus en échec par les Volunteers2. Environ 1 000 personnes seront emprisonnées, 108 subiront un procès expéditif, 58 seront déportées en Australie et 12 seront pendues devant la prison du Pied-du-courant à Montréal.

Attaque contre Saint-Charles, 25 novembre 1837

Patriotes de 1838

  • Présent parmi les patriotes de Napierville à l’automne 1838 : Pierre Tétreau
  • Présent aux côtés de Robert Nelson, chef des Frères chasseurs à Napierville à l’automne 1838 : Jean-Baptiste Tétreau (il initie les Frères chasseurs au serment secret et aux signes de reconnaissance)
  • Arrêtés en 1838 : Jean-Baptiste Tétreau et Michel Tétreault dit Ducharme
  • Emprisonné : Édouard Tétro dit Ducharme.

Les Patriotes aux États-Unis

  • Anselme Tétreault y est réfugié. Il est jugé par un tribunal américain pour violation de neutralité après avoir incendié une grange appartenant à un loyaliste3. Il sera innocenté par un jury sympathique à la cause des patriotes.
  • Ont participé à des charivaris et des pillages de biens appartenant à des loyalistes : Jean-Baptiste Tétrault dit Ducharme, Jean-Baptiste Tétreau, Thimotée Tétreau, François Tétro fils, Joseph Tétro fils et Toussaint Tétro père.

Dénouement

En 1839, Lord Durham remettra son célèbre rapport dans lequel il affirme que les Canadiens français sont un peuple sans histoire ni littérature qui n’a pas accepté sa défaite (celle de 1760) et qu’ils feraient mieux de s’assimiler à la grande nation britannique. De toute façon, selon lui, la démographie le fera; l’immigration des îles britanniques finira par les placer en état d’infériorité numérique. Il propose donc un ensemble de mesures visant l’assimilation des Canadiens français, qui seront largement reprises dans la nouvelle constitution de l’Acte d’Union de 1840.

Les descendants de Louis Tetreau ont été au coeur de l’action, mais semblent s’en être tirés à bon compte, si ce n’est l’échec de leur mouvement. Il faut noter à ce sujet le petit nombre de combattants et leur manque d’équipement. Selon les historiens et les lieux, l’évaluation va d’une arme pour cinq hommes à une arme pour deux hommes. On peut tout de même souligner que de nombreuses demandes formulées dans les 92 résolutions sont aujourd’hui réalisées. Que ce soit le gouvernement responsable devant la Chambre, le contrôle du Trésor public par la Chambre d’assemblée, une représentation proportionnelle des « Canadiens français » dans les institutions politiques de la province, des lois visant la protection du fait français (au Québec à tout le moins), l’abolition du sénat (alors qu’ils avaient demandé que ses membres soient élus), etc. Malgré le fait que le chef de notre État soit toujours la reine et que celle-ci ait des représentants dans chaque gouvernement du Canada, ses pouvoirs sont nuls. Finalement, je crois que nous pouvons être fiers de ces descendants de Louis Tetreau qui ont risqué leur vie et des situations parfois confortables pour défendre leurs idées; nous pouvons être fiers de l’héritage qu’ils ont laissé. Le 18 mai prochain, lors de la Journée nationale des patriotes, nous aurons une pensée pour eux.


Notes
1- Que les ministres doivent rendre des comptes à la Chambre d’assemblée et doivent garder la confiance des députés élus.
2- Milice formée de Britanniques du Bas-Canada vivant le long de la frontière américaine.
3- Personnes et institutions restées loyales à la couronne britannique.

Sources
Alain Messier (2002). Dictionnaire encyclopédique et historique des patriotes (1837-1838), Guérin, Montréal, 497 p.
Jacques Lacoursière, Jean Provencher et Denis Vaugeois (2000). Canada—Québec (1534-2000), Septentrion, Québec 591 p.