Rémi et Joseph-Wilfred Tétrault :
le sacrifice de deux aviateurs canadiens
par Josée Tétreault


Fils de Joseph Tétrault et de Caroline Coulombe, Joseph Octave Arthur Rémi Tétrault est né à Winnipeg au Manitoba le 1er octobre 1917. Il est le 8e d’une famille de 13 enfants.


Rémi et l’Aviation royale canadienne

Le 17 septembre 1940, à Winnipeg, Rémi Tétrault s’engage dans l’Aviation royale canadienne. Il habite alors à Transcona, au Manitoba, où il travaille depuis cinq ans comme tôlier (sheet metal worker) dans l’usine de la Canadian National Railway.

Dès lors, il entame son apprentissage dans différentes écoles en Ontario. Il s’entraîne à la discipline militaire, tout en apprenant les rudiments de l’aviation et le maniement d’armes. À l’été 1942, après avoir servi pendant 22 mois comme mécanicien, Rémi est recommandé pour servir en tant que navigateur. Il entre à l’école préparatoire (Initial Training School) à Belleville, puis, en octobre, à l’École d’observation aérienne (Air Observer School) à London, où il apprend le savoir nécessaire à la fonction de navigateur. Le 19 février 1943, il est promu sergent et obtient son brevet de navigateur.


L’Angleterre

Au début de mars 1943, Rémi est conduit à Halifax, où, le 19 mars, il monte à bord d’un navire en direction de l’Angleterre. À son arrivée, Rémi poursuit son entraînement. Il possède le savoir, mais il doit maintenant acquérir l’expérience. Il est tout d’abord assigné à une unité de vol avancée (Advanced Flying Unit #3) à Bobbington, puis à une unité d’entraînement opérationnel (Operational Training Unit #23) à Atherstone. En février et mars 1944, deux semaines de stage à l’école de combat de Dalton et ensuite à Topcliffe lui permettent de parfaire son entraînement. À la mi-mars 1944, Rémi Tétrault rejoint le 425e Escadron de bombardement canadien1.

L’écrasement du Halifax LK810

Dans la nuit du 22 au 23 mai 1944, Rémi et ses compagnons montent à bord du Halifax LK810. Le poste de navigateur du flying officer Tétreault occupe la partie avant du fuselage et est situé au rez-de-chaussée de l’avion. Une cloison métallique le sépare de l’opérateur de radio. L’espace y est restreint, les instruments de navigation par radar occupant beaucoup de place.

L’équipage de cet avion prend part au Transportation Plan. Élaboré en janvier 1944, ce plan a pour but la destruction des infrastructures ferroviaires en France, en Belgique et en Allemagne de l’Ouest. En prévision d’un prochain débarquement dans le nord de la France, les Alliés veulent empêcher les Allemands d’acheminer du matériel et des renforts sur les côtes normandes. Ce plan avait débuté le 6 mars précédent2

L’avion décolle de la base de Tholthorpe, dans le Yorkshire, à 00 h 10. La mission de l’équipage : détruire la gare de triage du Mans en France. Pas moins de 133 appareils prennent part à ce bombardement.

Hercule, un résident de Moncé-en-Belin, village situé à une quinzaine de kilomètres au sud du Mans, raconte :

En cette nuit du 22 au 23 mai, notre petite commune de Moncé-en-Belin est calme, […] endormie en cette période de guerre, quand, peu avant deux heures du matin, un bruit sourd, un ronronnement lointain se fait entendre. […] Dans un demi-sommeil, on tend l’oreille.

Les minutes passent, puis on entend les sirènes du Mans qui alertent la population pour se rendre aux abris, signalés par des affiches bien connues, placées sur certaines façades de maisons.

Les Moncéens se sont levés en hâte, les uns sur le pas de la porte, les autres déjà dans leur cour interpellant leurs voisins, s’interrogeant sur la destination de ces bombes que transportent les forteresses volantes, chacun scrutant le ciel à la recherche de ces masses sombres qui passent si souvent la nuit.

Au Mans, les sirènes se sont tues, la ville est dans le noir total. Soudain, au premier passage d’avions tombent des fusées éclairantes permettant le repérage de la cible désignée (des équipes de Pathfinders étaient chargées de ce travail).

D’ici, dans un ciel orangé, on a l’impression que c’est le jour qui se lève. Ce spectacle ne dure pas longtemps car les premières explosions sont perçues, les éclairs suivis de roulements de détonation s’amplifient. Le doute n’est plus permis quant à l’objectif désigné : Le Mans.

À une dizaine de kilomètres de là, installés sur le terre-plein du Tertre Rouge, la DCA allemande n’est pas restée inactive; des balles traçantes traversent le ciel pour atteindre les forteresses volantes.

Au cours de ces tirs, deux bombardiers seront touchés et viendront s’écraser pratiquement à la même heure : 2 h 30 du matin :
‒ le MZ653 sur la commune de Moncé-en-Belin;
‒ le LK810 sur Le Mans, près de la gare de triage3.

Parmi les sept membres de l’équipage du LK810, un seul survit et est fait prisonnier par les Allemands. Tous les autres, incluant Rémi Tétrault, perdent la vie lors de cette fatidique nuit. Rémi n’avait que 26 ans.


Repose en paix, Rémi

Le surlendemain, les corps de Rémi et de ses compagnons sont inhumés au Mans, dans le cimetière de l’Ouest. Plus tard, les croix qu’on avait d’abord installées sur leurs tombes seront remplacées par des pierres tombales militaires.


Quelques jours après l’accident, les parents de Rémi, affligés, reçoivent la lettre ci-dessous. Son décès leur sera confirmé peu de temps après.


Ottawa, Canada, le 28 mai, 1944

Mr J.O. Tétrault
158 Regent Avenue
Transcona, Manitoba

Cher Mr. Tétrault :

C'est avec un profond regret que je dois confirmer notre récent télégramme vous informant que votre fils, l'Officier Volant Joseph Remi Tétrault est porté disparu en Service Actif.

L'officier de l'Aviation Royale du Canada, responsable des Victimes (d’Outremer) nous a avisé que votre fils et tout l'équipage de son avion n’est pas retourné à sa base après un raid sur Le Mans, en France, la nuit du 22 mai ni la matinée du 23 mai 1944.

Le terme "manquant" n’est utilisé que pour indiquer que nous ignorons actuellement où se trouve l’équipage et ne signifie pas nécessairement que votre fils a été tué ou blessé; il aurait pu atterrir sur un territoire ennemi et pourrait être un prisonnier de guerre; les demandes ont été faites à travers La Croix Rouge Internationale et à toutes autres sources appropriées et je veux vous assurer que toute autre information reçue vous sera communiquée immédiatement;

Ci-jointe une liste des membres de l'Aviation Royale du Canada qui se trouvaient à bord de l'avion, avec les noms et adresses de leur proche parent. Le nom de votre fils n'apparaîtra pas sur la liste officielle des blessés pendant cinq semaines. Cependant, vous pouvez divulguer à la presse ou à la radio le fait que votre fils est signalé manquant, mais ne pas divulguer la date, le lieu, ni son unité.

Permettez-moi de vous exprimer ma sincère sympathie pendant cette période d'incertitude et je me joins à vous et aux membres de votre famille dans l'espoir que de meilleures nouvelles viendront bientôt.

Sincèrement vôtre
R.C.A.F. Officier des Victimes
pour le Chef du Personnel Aérien

Mince consolation pour la famille, une note inscrite dans une lettre reçue le 6 juin : « En perdant cette avion, nous perdions un de nos meilleurs équipages qui était à se tracer un brillant futur dans l’escadrille. Votre fils avait neuf sorties à son crédit au-dessus des territoires ennemies. Rémi était très populaire avec tous et chacun de l’escadrille, et soyez convaincu que nous regrettons sa perte. »

Un second deuil dans la famille

Le 23 mars 1965, la famille de Rémi a le malheur de perdre un second fils au sein de l’Aviation royale canadienne. Joseph-Wilfred participait à un exercice d’entraînement au nord de Puerto Rico lorsque l’avion à bord duquel il prenait place s’abîma en mer, tuant les 15 membres d’équipage. Outre ses frères et sœurs, il laissait dans le deuil son épouse et trois enfants.


Remerciements

Un merci particulier à Pierre Lagacé, à Jacky Emery et à Debbie Fontaine pour les écrits et les photos qu’ils ont diffusés sur le Web. Merci de nous rappeler le sacrifice de Rémi et de perpétuer sa mémoire.

Source : RCAF Les Alouettes II, Je te plumerai : https://425alouetteii.wordpress.com/category/remi-tetrault/

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1 « Le 425e Escadron fut formé le 25 juin 1942 dans le Yorkshire en Angleterre. Son appellation de “Premier escadron canadien françaisˮ ainsi que son emblème “L’Alouetteˮ font de lui un escadron spécial. Il a adopté la devise “Je te plumeraiˮ. » Équipé en premier de Vickers Wellington puis de Handley-Page Halifax, le 425 effectua plus de 287 bombardements et remporta plus de 190 décorations au cours de la Seconde Guerre mondiale. www.rcaf-arc.forces.gc.ca/fr/3-escadre/425-escadron.page
2 http://francecrashes39-45.net/transp_plan.php
3 http://mayenne-ww2.forumactif.org/t1867-crash-d-un-bombardier-halifax-en-sarthe-1944